mardi 6 décembre 2016

La meilleure journée, c’est demain.

Ca a démarré comme une soirée plutôt classique.

Un de ces bons rendez-vous médicaux des familles, où tu arrives avec une forte suspicion de début de bronchiolite (renforcée par la moitié de la crèche déjà atteinte) et où tu repars avec un diagnostic de virus laryngé accompagné d’une double otite bien cognée. Bref, une de ces consultations dont mes enfants ont le secret.

Rien de bien méchant en somme. En sortant, j’avais même envie de raconter une anecdote sur Instagram à base de « tu sais que ton fils passe trop de temps chez le médecin quand il commence à l’appeler… Tonton » (véridique) et je cherchais quelle image pourrait illustrer notre fou rire du soir.

Mais il faut d’abord passer par la case pharmacie.

Je saute de la voiture et déchante en ouvrant le coffre : la poussette canne est restée dans l’autre voiture, celle que nous utilisons pour nos virées familiales du week-end.
Connaissant la tendance touche-à-tout de mon p’tit cassis de 21 mois, je suis loin d’être emballée. 
Je porte ses 12.6kg à l’intérieur, où patientent une bonne demi-douzaine de clients. Les 5 premières minutes se passent bien, il ne cherche pas à descendre (et j’ai mal aux bras).
Il me lance des œillades charmeuses en désignant la petite table du coin jeux. J’ignore superbement une minute supplémentaire.
Mais j’ai mal aux bras.

Je le laisse finalement y aller, c’est mon tour de passer de toutes façons, ça devrait aller vite. Je tends l’ordonnance et la carte vitale tout en gardant un œil sur mon mignon… qui l’est resté 3 minutes supplémentaires.
Et puis il a vu l’aquarium, ce fichu aquarium.
Et tout a dégénéré.

Je lui interdis d’y aller (mais pourquoi diable cet aquarium est-il positionné près de la porte et donc du parking ?) et mon mignon se transforme en démon possédé par le Terrible Two.
Je temporise et je fais diversion. Nous avons donc détaillé l’affiche d’Ociloccocinum par le menu.
« oh là, il y a le papa »
« oh il porte son petit garçon ! »
« et là, c’est qui ? la maman ! »
Bref, je me demande où la pharmacienne est allée chercher le doliprane et l’orelox, ça me paraît interminable.
Le petit gigote dans mes bras mais dès que je le pose, il part dans tous les sens, je le récupère.
Il n’en peut plus, il se débat dans mes bras comme un beau diable, et attrape mes lunettes.
Je m’entends dire « rends moi mes lunettes » tout en pestant intérieurement contre la pharmacienne de prendre autant de temps.
Il tend le bras et les lâche.

Au petit « poc » qu’elles font en tombant, je sais qu’elles sont cassées.
Au petit « poc » qu’elles font en tombant, il sait qu’il a fait une grosse bêtise et il ne gigote plus.

Je peux le poser à mes pieds sans crainte qu’il ne se sauve, me draper dans ma dignité et chercher à 4 pattes sur le sol mes yeux (je ne vois RIEN sans mes lunettes – astigmate, hypermétrope, amblyope opérée tardivement d’un strabisme).
Je repère assez vite la monture, elle est cassée et il manque un verre. Je tâtonne autour du comptoir pour le retrouver (notez bien qu’aucune personne aux alentours n’a bougé pour m’aider).
C’est ce moment bien glamour que la pharmacienne a choisi pour faire son retour.
Je fourre en vitesse le verre dans la poche de mon manteau en me redressant. A travers ma vision floue, je distingue malgré tout le regard apitoyé qu’elle pose sur la mère dépassée par ses mômes que je suis. Je suis rouge écrevisse et j’essaie d’ignorer que les 8 autres clients de l’officine doivent porter sur moi le même regard à cet instant. 
Je récupère les précieux flacons, et me dirige droit vers la porte sans me retourner, mon p’tit cassis redevenu angelot sous le bras. 


Je mets le pilotage automatique pour retrouver les filles et lancer la routine du soir.
Je questionne sur la journée et je fais réviser l’autodictée tout en cherchant la carte de visite de l’opticien.
Je mets le couvert et fais chauffer la soupe et les gnocchis (grande gastronomie des soirs bousculés…), le téléphone collé à l’oreille à conter le destin tragique de cette paire de lunettes achetée il y a 2 mois à M. Atol.
On convient d’un RDV rapide, je raccroche et installe tout le monde à table.
Grand Amour rentre au moment où je verse la première louche de soupe.

Je lui fais le compte rendu de ma soirée en déposant la première assiette de soupe devant la Groseille.
La Framboise nous interrompt pour demander si « c’est de la soupe aux carottes ? » Cette enfant pose cette même et exacte question à CHAQUE fois qu’on mange de la soupe. Je lui jette un regard légèrement exaspéré pour qu’elle trouve la réponse toute seule.
Je lui tends son assiette, elle l’attrape et la ramène brusquement vers elle.

Hurlements.
C’est chaud, ça brûle.
Je la monte en 4ème vitesse sous la douche.

Là, assise sur le rebord de la baignoire à arroser sa cuisse rosie, les pensées se bousculent « pourquoi j’ai pas mis les bols au lieu des assiettes à soupe ? je l’ai faite trop chauffer !! y’a du monde aux urgences un lundi soir ? mais pourquoi elle ne fait pas plus attention (le mois dernier, cette même enfant s’est ouvert la pommette en se prenant un poteau qu’elle n’a pas vu, trop occupée qu’elle était à discuter avec sa copine), ils vont finir par nous coller un signalement aux urgences s’ils nous voient revenir tous les mois… mais pourquoi j’ai pas mis les bols aussi ??? »

Je ne me suis rendue compte que les larmes coulaient toutes seules qu’au regard suspicieux et contrit que ma fille aînée me lançait depuis le centre de la baignoire.
« Tu sais Maman, ce n’est pas de ta faute, tu l’avais lâchée l’assiette, c’est moi qui l’ai renversée ».
Elle n’avait plus mal, sa cuisse était encore un peu rouge, on l’a tartinée au gel d’aloé véra avant de retourner à nos assiettes de soupe froide. 

J’essuie une dernière larme en m’asseyant lourdement sur ma chaise. 

C’est là que la Groseille, souffrant d’une incapacité chronique à rester assise sur sa chaise lors des repas, se lève et se colle à mon épaule. 

« On dirait bien que ce n’est pas ta meilleure journée, hein, Maman ? »
Sourire.

« Oui, on dirait bien. »
Sourire

« Tu sais quoi ? On n’a qu’à dire que ce sera demain, ta meilleure journée ! ».
Sourire

« Oui, faisons donc ça ma puce». 

C’était la leçon de philosophie de la Groseille, 5 ans, coach de vie, qui conjure les soirées pourries pour les rendre tendres et jolies, vous rend le sourire comme personne et vous retourne un bad karma en moins de 2.
Et en plus, vous inspire pour bloguer.

Voilà. La meilleure journée, c’est demain… enfin aujourd’hui (parce qu’après toutes ces émotions, je me suis couchée avec les poules).